Poésie
Extraits de quelques recueils de Marie-Josée Christien
Lascaux
pierre après pierre.
Temps morts
Poème absent
Seul le désespoir est digne de l’amour. Adonis
On n’entend le souffle
que lorsqu’il se retire
dans le vertige bref
du silence qui s’installe
Seul le poème
est digne du désespoir.
*
De l’amour
le passage et la halte
trouble
et troublé
sourdine au fond de moi
à chaque instant
son revers d’angoisse.
*
Je m’absente
à son indifférence
jusquà épuisement
je passe mon chemin
je presse le pas
vers l’oubli
qui ne s’éteint pas.
*
L’infini du ciel
s’exténue
J’attends
une promesse
où m’appuyer
pour rendre
la vie plus proche
Trop de silence
éloigne
son écho.
*
Quand l’épicentre de l’insomnie
répète sans relâche
les exils du coeur
qu’espérer d’autre
que s’effacer du jour
et avancer
dans le silence
d’un visage perdu.
*
Si près du bord
de n’être plus qu’un souvenir
nulle voix
qui me persuade
que j’existe
juste quelques paroles
au loin
murmurées sur le seuil
de l’oubli
si près du bord.
*
L’illusion est belle
vaut-elle la blessure
qui lui suivra?
Etre oubliée
est une autre façon
de mourir.
*
Dans le silence où se tapit
le dernier mot
le dernier pas
de la parole
le mot de la fin
engloutit l’attente
latente
la faim de vie
Mes mots sont tous
d’adieu.
Affolement du sang
Marais secrets
C’est ici
une vieille terre
aux noires écorchures
qui s’effacent dans la brume
un territoire de traces fossiles
d’une forêt immémoriale
le souffle acide
d’un pays caché.
*
L’œil rivé
à chaque pas
qui s’enfonce
dans la tourbe spongieuse
on marche
comme on prie
dans l’apesanteur des sèves
et l’escapade des genêts.
*
Le cœur bat
plus calmement
dans l’immobilité
des marais silencieux
toute pensée est plus lente.
*
Les roseaux
se mesurent à la patience
la vie insiste
persiste
silencieusement.
*
Têtes basses
les joncs battus
de vent glacé
sont les rescapés opiniâtres
d’un continent englouti
en dormition.
*
Des saules tortueux
dessinent
des idéogrammes
dont on aurait oublié
le sens.
*
Le marais
se fige
comme une immense flaque
dans le paysage sans couleur
résistant vaillamment
aux ruissellements.
*
C’est une eau immobile
que rien
ne distrait
la litanie de nos pas
n’atteint pas ses secrets.
Extraits de Marais secrets, en collaboration avec le photographe Yann Champeau, Les Editions Sauvages, 2022. Ce livre existe en version bretonne, sous le titre Gwernioù kuzhet, traduit par Jil Penneg.